🇫🇷 | On a rencontré Mirko Popov, légende de la musique en Macédoine depuis 25 ans. Connu comme « the first DJ in Skopje », c’est un des premiers organisateurs de soirées électro en Macédoine au début des années 90. Il a monté le label PMG Recordings, où il met en valeur les musiques indépendantes de Macédoine. Jazz, rock, électro, Bysantin House, etc… Il est aussi depuis le début un des dirigeants de « Kanal 103 », radio historique alternative de Skopje. Musique, Europe, réfugiés, nationalisme… Mirko Popov est extrêmement prolixe quand il s’agit de parler de la Macédoine.

🇬🇧 | We met Mirko Popov, known as the « first DJ in Macedonia ». Musician, producer, and creator of the electro label PMG Recordings, he is very chatty when it comes to talking about Europe, refugees and nationalism in Macedonia.

🎙 © Antoine Gauthier & Eva-Marie Debas

🇫🇷 Francophones uniquement ? Lisez la retranscription de l’interview

Mirko Popov : Le canal 103 est une station de radio alternative cruciale pour moi, parce que c’est la première fois que j’ai pu jouer et dire ce que je voulais. Cela m’a très rapidement transformé en celui que je suis aujourd’hui, j’organise des soirées et des événements culturels. La station 103 a permis une transformation très importante aussi pour la ville de Skopje qui est passée de l’état de centre culturel sympathique de province à un lieu qui aspire à voir une réelle expérience culturelle européenne. Pendant les années 80, il ne se passait pas grand-chose à Skopje. Mais à partir des années 90, quand nous avons commencé à vouloir être en contact avec le reste du monde, b mardi 4 juin 2019

Europe Convergence : Donc c’est au début des années 90 que vous avez commencé à organiser des soirées électro et techno ?

Mirko Popov : Oui, on a commencé à organiser des soirées alternatives avec le canal 103, avec toutes sortes de musique.

Europe Convergence : Est-ce que c’était autorisé ?

Mirko Popov : Oui. Mais personne ne le faisait. Personne n’avait l’envie, l’idée, la musique ou l’ambition pour le faire. Donc on s’est retrouvé à plusieurs pour faire une programmation pour le canal 103, puis à l’extérieur de la radio, dans les boîtes de nuit, pour des concerts. On voulait juste jouer ce genre de musique qui n’était pas vraiment joué avant ici et on voulait se faire des contacts.

Europe Convergence : Et quelles ont été vos inspirations au début des années 90 ? Vous écoutiez des musique de Détroit, ce genre de choses ?

Mirko Popov : J’écoutais surtout de l’électro-pop de la fin des années 80 puis graduellement des choses plus alternatives comme Joy Division, The Smiths ou New Order, puis des musiciens modernes comme Dead Can Dance. Au début des années 90, on écoutait beaucoup d’électro, ce qui était pratique parce qu’on pouvait aller en boîte de nuit et en poser plutôt facilement. Ce n’étaient pas seulement des choses de Détroit, mais aussi britanniques comme Orbital, Drum Club, The Future Sound of London, FX3… Donc nous avons joué un large panel de musique électro et on s’est fait rapidement fait connaître parce que cela s’est propagé très facilement. C’est devenu une scène à part et de là a émergé PMG.

Europe Convergence : Et donc vous avez créé PMG en 1995 ? Vouliez-vous créer un label, en aviez vous besoin ?

Mirko Popov : On a travaillé au canal 103 jusqu’en 1995, époque à laquelle il s’est dispersé parce que les gens qui y étaient ne supportaient plus de travailler ensemble. Je n’évoquerai pas les raisons, chacun avait les siennes. Personnellement, j’ai continué puis lentement PMG est monté au niveau de Label, en passant par plusieurs groupes, etc.

Mirko Popov, premier DJ de Macédoine. © Mirko Popov

Europe Convergence : PMG, c’est comme une famille ?

Mirko Popov : Oui. Ce sont des gens qui sortent et qui rigolent ensemble. La plupart d’entre nous sommes restés. Certains n’y travaillent pas directement mais sont associés à PMG. Et ce ne sont pas seulement des musiciens.

Europe Convergence : Depuis le début, ça fonctionne ?

Mirko Popov : Oui, c’est toujours plus ou moins les mêmes gens. Il y a quelques personnes plus jeunes, certains travaillent occasionnellement avec nous, ce n’est pas comme une hiérarchie militaire.

Europe Convergence : Ce n’est pas une structure, une famille fermée.

Mirko Popov : Non, le noyau est une famille proche, des amis, mais on a eu beaucoup d’associés entre-temps. On est restés très proches, mais c’est devenu un label, une compagnie, tout ce dont on a besoin pour faire perdurer PMG.

« C’est difficile de produire ici mais si tu sais ce que tu veux faire, tu trouveras forcément un moyen »

Europe Convergence : Est-ce c’est facile, en Macédoine, de produire de la musique, d’en vivre, de faire de l’argent avec ? Comment ça fonctionne ? En France, on peut avoir des aides financières de l’Etat. Ici, est-ce que vous utilisez votre propre argent, prenez vos propres risques ? Est-ce que c’est facile de vendre des disques ?

Mirko Popov : Je dois dire que c’est très dur. C’est probablement plus difficile que partout ailleurs en Europe. Mais si tu sais ce que tu veux faire, si tu es vraiment engagé, tu trouveras forcément un moyen. Les musiciens occidentaux ont de grandes difficultés aussi, donc je suppose que de manière différente, c’est difficile partout. Peut-être que c’est un peu plus difficile en Macédoine, mais moi, en étant complètement dédié à ma musique, et sachant ce que je voulais faire, j’avais une image complète de la situation. Dès le début, je savais ce que je voulais faire. Donc je l’ai fait, et j’ai essayé de gagner de l’argent pour faire perdurer PMG. Le but n’était jamais de gagner de l’argent pour gagner de l’argent, mais toujours pour continuer. Donc j’investissais mon propre argent, celui récolté pendant les soirées, ou en faisant un travail par-ci par-là. Je ré-investissais toujours l’argent dans le label, peu importe ce que je faisais.

2011 : Mirko Popov fêtait ses 39 ans en musique. © Chaîne YouTube de Mirko Popov

Europe Convergence : Les artistes de PMG peuvent-ils vendre des disques à l’extérieur de la Macédoine ?

Mirko Popov : Pas vraiment. La Macédoine est malheureusement un pays fermé et très petit. Si tu veux avoir de bonnes relations avec quelqu’un, il doit être intéressé par ton pays. Mais personne ne s’intéresse à la Macédoine, parce que nous avons un petit marché, mais peu de relations externes. Tu peux toujours essayer de vendre à l’extérieur. Mais quand tu habites en Macédoine, tu restes en Macédoine. Tu n’auras pas accès à la vente externe, à la reconnaissance.

Europe Convergence : Vous ne voulez pas la reconnaissance ?

Mirko Popov : Personnellement, j’aurais beaucoup aimé ça, mais je ne m’y suis pas engagé. J’étais assez adulte pour me dire que j’aimais la Macédoine et sa culture, et que je voulais produire quelque chose pour les gens ici. Parce que les personnes ici ont sérieusement besoin d’être plus cultivés. J’ai eu le privilège d’être cultivé, et largement au-dessus du reste de la population. Je n’ai pas à être modeste, mais je dois dire que j’ai eu le privilège de grandir dans un cadre cultivé. Et je veux rendre cela. Je pense qu’il est très important de rendre aux gens. Et je veux voir mon pays plus cultivé, et d’être plus enclin et prêt à communiquer avec les autres cultures européennes et au-delà. La plupart des macédoniens sont des paysans, et ils ne sont pas ouverts aux cultures environnantes. J’ai toujours voulu produire de la culture pour ce pays, pour que les gens soient plus ouverts. C’est nécessaire à mon avis. J’ai toujours cru que mon travail devait être focalisé sur la Macédoine. Et c’est assez facile de partir, mais si tu pars d’ici tu ne pourras pas avoir de carrière internationale. Mais si tu as vraiment beaucoup de talent, tu peux réussir à l’étranger. Personnellement je n’ai pas cru que j’avais quelque chose à prouver à moi ou aux autres pour devenir célèbre et avoir une carrière à l’international. Ce n’est pas intéressant pour moi. Pour moi, il est intéressant de faire ce que je veux, faire de la musique que j’aime, et produire du contenu attractif pour les personnes d’ici.

« La musique byzantine, c’est un effort commun entre roms, grecs, bulgares, macédoniens. Tout cela était mélangé à un moment, nous vivions ensemble et chantions les mêmes musiques »

Europe Convergence : Est-ce qu’il y a une manière macédonienne de produire de la musique ? Parce que c’est un vrai mélange de différentes cultures ici. Est-ce que vous retrouvez ce mélange dans la production musicale ?

Mirko Popov : Oui bien sûr. Moi-même, j’ai été éduqué de façon assez internationale. J’ai toujours écouté des groupes britanniques et américains, plus tard j’ai grandi avec à peu près tout. En tant que macédonien, je ne vois pas ma culture comme isolée, tout est mélangé. Par exemple, quand je vous ai parlé de la musique byzantine, c’est un effort commun entre roms, grecs, bulgares, macédoniens. Tout cela était mélangé à un moment, et nous vivions ensemble et chantions les mêmes musiques. Pour moi, le but a toujours été d’acquérir beaucoup d’expériences, et de les transformer pour mon travail. Je ne vois pas la macédoine ou moi-même à part de tous les autres. Mon rêve est de voir la Macédoine mélangée, comme un pays mondialisé. Cela a toujours été comme ça pour moi, en tant que promoteur, musicien, compositeur, parolier. Cela se retrouve dans tout ce que je fais. Je veux faire partie de quelque chose de plus global, avec de l’aisance. Vous voyez que nous avons beaucoup de problèmes avec la Grèce par exemple. « What the Fuck », je veux dire dans la tête des gens il y a tellement de stupidité, chez les macédoniens ou chez les grecs. Ils ne peuvent pas accepter que nous vivions tous ensemble ici sur ce territoire qu’est la Macédoine. Ils ont un peu de territoire, nous aussi, on peut toujours trouver un moyen de continuer et ne pas se quereller. Mais les gens préfèrent se quereller parce qu’ils ne sont pas assez cultivés. Mon point de vue, c’est qu’on recherche la connexion entre nous, et c’est ce que je veux transmettre par ma musique. Tout ce que je fais tente d’être connecté avec tout le reste.

© Le Monde

Europe Convergence : Donc vous êtes connectés avec d’autres labels ou producteurs musicaux dans les Balkans et dans l’Europe ?

Mirko Popov : J’ai eu beaucoup de projets avec d’autres personnes. Récemment, on fait beaucoup de choses avec des labels, qui deviennent très spécialisés avec Internet. La plupart des gens ne comprennent pas pourquoi nous faisons tous ces différents types de musique. Nous collaborons évidemment avec beaucoup de labels, mais récemment nous travaillons beaucoup à Tirana, en Albanie. Ils nous aiment beaucoup parce qu’ils ont aussi une scène alternative. Aujourd’hui j’ai demandé des CD d’un nouveau groupe albanais. Et on aussi beaucoup travaillé avec Belgrade, et des personnes de Subotica en Serbie.

« Le business, pour moi, s’arrête au moment où je gagne assez d’argent pour que je puisse continuer à faire ce que j’aime »

Europe Convergence : Donc des connexions balkaniques ?

Mirko Popov : Oui c’est ça. Nous avons aussi eu des connexions avec l’Angleterre. Mais quand vous faites des choses avec eux, cela devient directement du business. Je n’ai rien contre, j’en vis même, mais j’essaie toujours, quand je sors un album, qu’il s’agisse d’une effort culturel et musical commun. Donc si l’on faisait du vrai business, je serais obligé de couper les deux tiers de ce que je produis. Le business, pour moi, s’arrête au moment où je gagne assez d’argent pour que je puisse continuer. Mais je ne suis pas concentré sur le fait de gagner de l’argent. Mais ces gens là sont concentrés là-dessus. Si je commence à produire de la musique juste pour gagner de l’argent, j’aurais à réduire le nombre d’artistes de deux tiers. Donc je le garde le business pour continuer à produire ce que j’aime. Et j’essaie aussi, hormis le fait de vendre et d’organiser de concerts et des festivals, de faire rentrer l’argent que je gagne dans le label. Et j’essaie aussi d’avoir des aides financières de l’Etat. Mais c’est une chose horrible à faire.

Europe Convergence : Pourquoi ?

Mirko Popov : En Macédoine tu peux obtenir de l’argent de l’Etat si tu fais partie du parti politique au pouvoir. Tu dois faire de la lèche. Et la plupart du temps, ils ne te donnent rien. Mais je suis persistant, car je sais que je dois le faire, je sais que l’argent qu’il collectent à travers les taxes est le mien autant qu’à ceux qui travaillent pour les partis politiques. Donc j’essaie, je pousse. Récemment, j’ai reçu un peu d’argent que j’ai investi dans le label. Pour produire quelques sons avec l’argent étatique, ce qui est cool.

« L’ex-gouvernement, nationaliste, diabolisait l’Europe. Donc la plupart des macédoniens en ont une image biaisée »

Europe Convergence : Vous parlez d’Europe, mais est-ce que les macédoniens se sentent européens ?

Mirko Popov : Je me suis toujours senti comme ça. La première fois que j’étais hors de l’Europe, je me sentais européen, surtout culturellement. La première fois, j’avais 7 ans et j’achetais un disque. C’est mon identité, et je la sentais déjà à la fin des années 70 et début des années 80. Toute cette communauté européenne, cela a toujours été normal pour moi. Mais l’idée s’est vulgarisée pour beaucoup de gens, car ils ont vu l’Europe à travers leur propre filtre. Et comme je vous l’ai dit, je n’ai pas une bonne opinion des macédoniens au niveau culturel. Donc cela c’est vulgarisé, surtout au niveau de l’argent. A partir du moment où l’Etat s’en est mêlé, c’est devenu encore pire. La plupart des gens aujourd’hui ont une notion aussi primitive, bizarre, fausse de l’Europe et de l’européisme. Ils ont une vision fausse. Par exemple le gouvernement nationaliste d’avant diabolisait l’Europe. Donc la plupart des gens n’en savent pas grand-chose, ils ont une image biaisée.

Europe Convergence : Et vous pensez que c’est cela la raison pour laquelle la Macédoine ne peut pas faire partie de l’Union Européenne ?

Mirko Popov : Non. Cela ramène à la question « Pourquoi n’en faisons-nous pas partie ? » qui est un peu différente. Je dirais que ce n’est pas uniquement la responsabilité des macédoniens. L’Union Européenne et les autres pays européens sont responsables avant tout. Premièrement, ils savaient que nous n’étions pas un pays développé alors ils ne nous ont pas vraiment aidé. Ils nous ont mis dans une situation encore plus difficile. Par exemple, ils ont forcé cette dispute avec la Grèce. Et cela a évidemment aidé les nationalistes.

Europe Convergence : Oui. Changez votre nom et vous aurez peut-être votre place dans l’UE.

Mirko Popov : Je suis 100% sûr qu’il y a 15-20 ans, l’UE aurait eu beaucoup moins de mal à nous intégrer, en rendant la voie d’accession plus simple. Par exemple, dans l’esprit des gens l’UE était beaucoup mieux vue et plus accessible. Mais l’UE a forcé ce conflit par rapport au nom et je ne sais pas pourquoi, ils avaient sans doute leurs raisons, mais cela a rendu la tâche plus difficile, surtout dans l’esprit des gens ordinaires influencés par le gouvernement nationaliste. Les gens aujourd’hui respectent beaucoup moins les coutumes et les manières de faire européennes. Pour moi, l’Union Européenne est donc responsable mais il faut évidemment aussi chercher notre responsabilité, car nous aurions toujours pu faire mieux. Mais nous avons choisi les nationalistes pendant 11 ans, et nous les avons autorisés à faire ce qu’ils veulent. Pas moi personnellement. Je ne peux me détacher du « nous » collectif, je n’ai jamais essayé de les tuer et de dire : « Maintenant on fait les choses de la bonne manière ».

Europe Convergence : Mais maintenant c’est mieux ? Le gouvernement n’est plus nationaliste, plus pro-européen ?

Mirko Popov : Oui c’est mieux, mais je me sens toujours responsable car nous avons perdu une décennie au profit des nationalistes. Donc nous avons perdu beaucoup de temps, et je pense que nos esprits sont mêmes pires maintenant, nous ne pouvons plus respecter les manières de faire européennes. Donc c’est encore plus complexe, mais à mon avis ce sont deux choses qui font réellement de nous des « enfants terribles ».

« Les images de violence faite aux migrants étaient seulement utilisées par la propagande nationaliste pour faire peur aux gens et qu’ils votent pour eux »

Europe Convergence : Pensez-vous que la population balkanique, aujourd’hui, est plus nationaliste ? Avec la crise migratoire notamment. La seule image que nous avons de Macédoine l’année dernière, c’est juste un policier qui frappe des migrants.

Mirko Popov : C’est une image fausse. Parce que le problème migratoire n’est pas si important ici. C’est seulement utilisé par la propagande nationaliste, pour faire peur aux gens, pour qu’ils votent pour eux. Cela n’a jamais été comme ça, aucun migrant ne veut rester ici. Ils veulent juste continuer et ne pas rester. Ensuite, les gens en Macédoine sont, ici comme partout en Europe, aussi nationalistes qu’il y a 10-15-20 ans, mais aujourd’hui c’est seulement la propagande qui est plus forte, plus dure. Il y a 20 ans, vous pouviez vendre n’importe quoi au Macédoniens. Ils sont nationalistes. Ils sont racistes. Ils le sont au profond d’eux-mêmes. Mais on aurait pu leur vendre des idées européennes : « Faisons ça. Oui, venons, faisons ça comme ça ». Et ils l’auraient fait. Peut être qu’ils n’auraient pas vraiment changé à l’intérieur, mais il l’auraient fait. Maintenant, c’est beaucoup plus difficile parce que la propagande nationaliste a été très dure. Et il y’en avait plus, et pas seulement sur les réfugiés. Ils utilisaient littéralement tout et n’importe quoi de mauvais pour dire aux gens qu’ils finiraient comme cela. Les réfugiés étaient montrés comme violeurs de femmes, et ils utilisaient vraiment tout ce qui leur tombaient sous la main. Et ils étaient au pouvoir quand beaucoup de réfugiés ont traversé la Macédoine. Et ils savaient comment contrôler les image, ils étaient très bons en propagande dans le sens macédonien. Les politiciens maintenant ont une propagande largement pire. Les nationalistes en avaient une largement meilleure.

Europe Convergence : Donc vous pensez que les gens sont racistes et nationalistes à cause de la propagande de l’ex-gouvernement ?

Mirko Popov : Non, ils sont juste racistes naturellement. Parce qu’ils n’ont pas d’éducation, pas d’expérience internationale. Vous savez, la plupart des gens en Macédoine ne voyagent toujours pas. 50% des macédoniens n’utilisent même pas leur passeport. Ils n’y connaissent rien. Pour nous c’est normal d’avoir un enfant métisse. Eux, ils sont juste racistes parce qu’ils n’ont pas assez d’expérience. Quand j’étais petit, je regardais autour de moi et je disais que c’est vraiment horrible ici. « Où suis-je né ? C’est horrible. » Ils sont arriérés. Les Macédoniens sont arriérés. Ils étaient paysans, et la plupart sont encore là. Ils ne veulent pas changer. Je veux dire évidemment que ça change, mais ça ne change pas assez rapidement à mon goût. Pas suffisamment pour se rapprocher de la communauté européenne en tout cas.

« J’ai 47 ans maintenant, je m’en fiche. Et je ne nous vois pas assez changer pour intégrer l’Union Européenne »

Europe Convergence : Et vous pensez que ça va de plus en plus vite ?

Mirko Popov : Je ne suis pas vraiment sûr. J’ai vécu ici toute ma vie, j’ai 47 ans maintenant. Je me suis habitué à tout. Je m’en fiche maintenant. Et je ne nous vois pas assez changer pour se rattraper. Mais par exemple, les bulgares et les roumains n’ont jamais assez changé. Ils sont entrés dans l’UE juste parce que l’UE et l’OTAN avaient d’autres intérêts. Mais au niveau des mentalités, ils ne sont pas beaucoup mieux que nous. En fait, je peux même vous montrer des gens ici qui sont beaucoup plus avancés que des roumains ou des bulgares. Ces derniers sont venus chez nous, et dans quelques aspects, nous sommes occidentaux pour eux. Donc je ne pense pas qu’il y ait de règles sur qui et de quelle manière les pays vont rentrer dans l’UE. Donc, je ne pense pas qu’il soit possible de nous classifier. Ce sera plutôt une décision politique, comme pour la Bulgarie, la Roumanie ou la Croatie par exemple. Je veux dire, ils n’ont jamais atteint le niveau requis pour rejoindre l’UE. Mais ils y sont. Donc je ne peux pas vraiment savoir.

Europe Convergence : Mais vous, vous voulez rester ici et faire votre musique ?

« Nous sommes visibles de toutes les autres façons, mais pas culturellement »

Mirko Popov : Oui, oui. Je peux montrer à n’importe qui que nous pouvons être aussi européens que tous les autres. Parce que nous le sommes, et nous l’avons toujours été. Nous avons été européens il y a 10 siècles. Vous savez qu’une des meilleures musiques byzantines vient d’ici ? Une des meilleures musiques d’Europe vient aussi d’ici en ce moment. Mais nous ne sommes pas visibles culturellement. Nous sommes visibles de toutes les autres façons, mais pas culturellement.

Europe Convergence : J’ai écouté du PMG Recordings et je pense que je n’avais jamais entendu de musique macédonienne avant.

Mirko Popov : Mais ils ne nous connaissent pas. Nous avons eu, en 20 ans, 170 productions. Ce qui fait beaucoup pour n’importe quel endroit. Et vous pouvez aller partout et les entendre. Je vous assure qu’au moins 2 tiers sont au moins au niveau de partout ailleurs.

Europe Convergence : Oui j’ai écoute votre label, c’est très bien…

Mirko Popov : Donc vous voyez, nous sommes européens, nous sommes intéressés par l’UE, mais personne ne le sait et ne s’en soucie. Parce que les gens comme moi ne sont pas visibles pour les gens de l’UE. Parce que nous ne faisons pas partie du gouvernement, ni de rien. Et même les ONG, sont remplies de bureaucrates ou des personnes qui veulent seulement voler de l’argent à l’UE. Donc on n’est pas vraiment visibles pour eux. Je ne suis même pas sûr que l’UE veuille reconnaître qu’il y ait des gens comme nous ici. C’est toujours du business à petite échelle, avec de l’argent de l’UE. Les ONG sont beaucoup plus intéressées pour montrer qu’ils font quelque chose, car elles ont toutes une action autour de la culture. Mais ils ne font rien sur le terrain. Ils ont beaucoup de posters qui montrent qu’ils font des choses, mais rien n’est réellement fait. Ils ne se prennent qu’en photo en train de faire des choses.

Europe Convergence : Donc ils prennent l’argent de l’UE et c’est tout.

Mirko Popov : Oui voilà c’est ça. Mais, finalement, j’ai appris que je m’en fichais, parce que du temps que je fais ce que fais, du temps qu’il y ait de résultats, et que nous vivons cette vie. Je vivais dans un trou paumé de la Macédoine depuis que je suis né et j’ai appris vraiment avoir une belle vie dans un pays nul. Et quand je suis en communication avec n’importe qui, n’importe où dans le monde, ça ne change rien si je vais chez eux ou s’ils viennent. Vous savez, j’ai amené tellement de musiciens occidentaux ici. Ils ont tous reconnus qu’on se débrouillait bien ici.

Europe Convergence : Vous avez fait venir des musiciens d’Europe occidentale ici ? Pour des festivals ?

« Si nous arrivons dans l’UE, rien ne changera pour moi »

Mirko Popov : Oui, bien sûr. Je l’ai beaucoup fait, et je le fais beaucoup. Il y a longtemps, nous vivions normalement dans un pays complètement fou. Maintenant, plus rien ne me touche. Il y avait une guerre certes. Mais nous faisions la même chose pendant la guerre et maintenant. Cela a toujours été la même chose pour nous. Donc je pense, si nous arrivons dans l’UE, que rien ne changera pour moi. Ça sera la même chose.

Europe Convergence : C’est juste le nom qui a changé, mais le pays reste le même. Si vous faites partie de l’UE, rien ne change pour vous ?

Mirko Popov : Rien pour moi. J’aimerais y accéder. Parce que pour beaucoup de gens, cela serait meilleur. Tout ce que j’ai fait, je l’ai toujours fait en acceptant le changement. Nous devons changer, nous devons changer notre nom, ok. La Macédoine du Nord, c’est la Macédoine du Nord quand on la regarde sur une carte. Qu’importe. Changeons nos esprits, changeons pour devenir plus proches de ce monde, parce que nous sommes ce monde.

Aide à la transcription : Louis Spindler

Musique jingle podcast : Yoann Piovoso

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